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Les noces de sang

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Message par Thog Lun 8 Déc - 20:47

« Il y a, ma fille, de la chasteté dans votre laideur. »

Eugénie sentait les doigts rugueux du curé appuyer sur son menton prognathe, lui soulevant la tête comme on ausculte un animal de ferme pour en estimer la valeur, ou le temps qu’il reste avant que de l’abattre.  

Elle se souvenait du jour où son père l’avait confiée au couvent. Cadette et présentant déjà des traits disgracieux, il était évident qu’on n’en pouvait tirer profit qu’en lui confiant la charge des péchés d’autrui, tâche qui n’était pas vaine en ces temps troublés où finalement, même si l’on ne pouvait prétendre être sûr de prier à la bonne chapelle, il était rassurant de se dire que l’on avait confié au fruit de sa lubricité le rachat de ses propres péchés. Si par surcroit l’on avait eu la bonne idée d’abandonner la charge de sa rédemption au raisin le plus talé de la grappe, l’on pouvait s’estimer heureux. Ce jour-là c’était son oncle, le curé, qui était venu la chercher en voiture. Au son des roues sur le gravier, elle s’était élancée dans la cour pour flatter le crin de la bête de trait pendant que ses parents réglaient les derniers préparatifs et payaient d’avance sa pension, la plus maigre possible. Dehors, le vent était violent depuis une semaine et les paysans alentour en avaient profité pour décorner leurs bœufs. Le sang, coagulant sur les tissus meurtris, semblait à Eugénie noircir à vue d’œil. Dans son esprit d’enfant de dix ans, elle s’amusait de ce que les bœufs semblaient pour un temps redevenir des veaux, mais des veaux souillés dont le sang croûtait, fétide, sous les soufflets répétés du vent.  

Elle avait maintenant quatorze ans et la proximité suspecte de son oncle avec la Mère Supérieure ne lui avait pas attiré la moindre faveur de la part de la Prieure qui la traitait comme n’importe quelle pensionnaire logée en dortoir. Elle avait tout de suite remarqué que les filles de son état n’étaient jamais mélangées aux jeunes filles de condition qui disposaient sinon de domestiques au moins de logements plus confortables, plus spacieux. On soufflait qu’il ne fallait pas rendre les filles jalouses, mais Eugénie se demandait tout de même si les raisons de cette séparation n’étaient pas beaucoup plus triviales. Il était évident que ces jeunes filles mangeaient mieux, étudiaient davantage leur port de tête et s’usaient moins les mains dans des travaux indélicats. Certaines pourtant les enduisaient de cire d’abeille pour les garder douces, ce qui ne manquait pas de frapper les sens d’Eugénie quand il lui arrivait de croiser par hasard des groupes de novices plus fortunées qu’elle, les effluves sucrées se perdant dans les croisées d’ogives du cloître. Plus belles par nature, elles ne cessaient de cultiver leur délicatesse, quand elles  étaient celles qui en avaient le moins besoin. L’une d’entre elles était particulièrement remarquable et dépassait toujours d’une tête le groupe de jeunes filles qui l’entouraient. De toute la grappe, elle était assurément le raisin le plus parfait, quoiqu’encore couvert de pruine. On devinait aisément à la teinte de ses joues, les couleurs éclatantes à venir que dissimulait pudiquement ce givre délicat et poudreux.

« Et c’est justement parce que vous êtes vilaine, ma fille, que je vous ai choisie… »

À dix ans, il n’avait pas été simple de se faire à l’idée de perdre ses parents et d’appeler son oncle « mon Père ». Plusieurs fois elle s’était trompée et avait dû faire pénitence. Souvent faisant preuve, en toute innocence, d’une lucidité précoce, Eugénie s’était vue contrainte de battre sa coulpe en public pour une parole inappropriée qui révélait un peu trop vivement son intelligence, que les religieuses avaient du reste tôt fait de nommer « malice ». C’était, sans qu’elles s’en soient jamais doutées, ces oies vasouillardes, la mettre sur le sentier dangereux de la connaissance. Plus elle était punie et plus elle devenait intime avec les textes saints qu’on l’intimait de réciter pour se repentir ; et c’est avec une certaine perversion qu’Eugénie prit le goût de l’érudition.

« Car ce qui est coupable dans la chair, ce n’est pas la chair elle-même, c’est la volupté des sens, et à n’en point douter, votre corps débile y est aussi étranger que la pierre… »

Élevée dans un ascétisme tout chrétien, Eugénie s’était développée dans un corps contrit et, comme la plante malade qui pousse à l’ombre de deux cailloux, elle avait dû se tordre pour trouver, à la faveur d’un rai de lumière, la possibilité de grandir. Sa vie, son existence était tout intellectuelle. La beauté et le plaisir lui étant inaccessibles par l’achoppement brutal de son corps sur la réalité, il fallait que le beau, perçu par ses sens, chemine dans l’alambic tortueux de son esprit et se change en pure forme pour qu’elle puisse en jouir enfin. Toute gauche qu’elle était, son corps demeurait en permanence tendu comme un ressort, prêt à bondir sur le moindre accident propre à lui offrir de quoi satisfaire son imagination. Sa mécanique du plaisir la conduisait à considérer la beauté avec égoïsme, s’appropriant mentalement ce qu’on lui refusait de saisir, ce qu’elle ne pouvait obtenir dans l’échange équitable et respectueux d’un être à un autre. Plus que personne, elle était devenue inaccessible à la chasteté.

« Et c’est pourquoi c’est vous, Eugénie, que j’envoie comme une brebis au milieu des loups. Votre chasteté triomphera des errances de la chair dans ces noces de sang dont le rituel nous permettra, j’en suis sûr, de percer le mystère de l’Arcane sans nom ! »




Quatre jours après que les étapes du rituel furent expliquées à Eugénie et Christian Zetner, un jeune homme un peu simple choisi par le curé pour sa beauté, la Mère Supérieure les conduisit en haut des marches menant à la crypte du couvent. N’ayant aucun rôle à tenir au cours du mystère, elle s’effaça, non sans fermer à clef la porte derrière eux. Sans un mot, il leur avait été défendu de parler, ils descendirent les 365 marches, ridiculement peu profondes, comme si elles avaient été retaillées, qui menaient à une pièce attenante à la crypte. Là, une torchère en bronze dont la vasque était supportée par un crâne humain entre les orbites duquel circulait le corps sans tête ni queue d’un serpent coulé dans du plâtre blanc, offrait un peu de chaleur aux deux enfants qui, conformément à ce qui leur avait été demandé, ôtèrent leurs vêtements. Très peu à ce qu’elle faisait, Eugénie se demandait quel était le produit visqueux et sombre sur lequel dansaient les flammes de la torchère. Elle pensa, contre toute logique, à de la poix et se souvint que Dieu avait demandé à Noé d’en enduire l’arche en dedans et au dehors pour la protéger du Déluge. Cette idée la rassura. Elle regarda le corps nu de Christian. Comme tout garçon de quinze ans il semblait entre deux âges de la vie et elle ne put, selon des critères académiques, qu’approuver le choix du curé. Il avait tout du David de Donatello, qu’elle n’avait bien sûr jamais vu, mais qui présentait avec lui des similitudes évidentes. Son corps androgyne révélait sous le torse des muscles abdominaux saillants qui reposaient sur un ventre replet tout féminin. Son visage d’enfant au nez pointu contrastait avec l’attitude virile de l’homme terrassant Goliath qu’il adoptait, sans doute pour se donner une contenance, alors qu’il se retrouvait dans son plus simple appareil. La pénombre enveloppant les murs de la pièce, le corps du jeune Hermès, devant la torchère, semblait émerger d’un cône d’ambre et, selon les errances des flammes, les attributs de sa virilité et ceux de sa féminité se voyaient éclairés ou plongés dans l’ombre, faisant de lui une figure ambiguë et inquiétante. Dans l’air flottait une odeur âcre de graisses brûlées. La porte de la crypte était fermée mais laissait échapper un mince filet de lumière entre ses vantaux. Christian poussa le battant droit. Ils entrèrent.

La crypte était composée d’une abside flanquée de cinq absidioles plongées dans le noir. Malgré son organisation architecturale soignée, elle tenait plus de la grotte païenne que du sanctuaire chrétien. À cette profondeur la pierre partout était mouillée, et les murs en blocs de grès des Vosges grossièrement équarris paraissaient un assemblage hétéroclite de quartiers de viande coupés dans les carcasses de bêtes encore vivantes dont le sang n’avait pas fini de couler. Au fond de la pièce était dressé un autel sur lequel reposait le corps inanimé d’une jeune fille. Elle ne portait aucun vêtement, mais une multitude de bijoux en cuivre qui dessinaient sur sa peau diaphane des arabesques obscènes, soulignant la naissance de ses seins, le creux de ses poignets tournés vers le ciel, l’arrondi de ses hanches et les boucles blondes de ses cheveux de Ménade. Eugénie reconnut la belle novice et dans l’insoutenable danse macabre des ombres sur les murs sanguinolents de la crypte, les ténèbres caressaient inlassablement la peau frémissante de ce corps abandonné. La jeune sainte transposée dans cet antre fiévreux avait été changée en catin. Devant l’autel un bassin était rempli d’une eau rouge qui coulait d’une fontaine. L’eau ferrugineuse sortait de la gueule d’un lion aux pattes duquel gisait une épée brisée. « Car Il a voulu ôter des mains de l’ange le glaive de Sa colère et sur Terre répandre la rosée de Sa grâce » pensa Eugénie. Une plaque gravée portait cette inscription :

Moi, prince Hermès,
Après tant de préjudices
Causés au genre humain
Devenu, selon le décret de Dieu
Et avec l’assistance de l’art
Une médecine salutaire,
Je coule ici.
Que s’abreuve à moi celui qui le peut, que se lave celui qui le veut, que me trouble celui qui l’ose :
Buvez, frères, et vivez !

Le curé qui présidait au rituel un sablier à la main sortit de son mutisme : « Haustum Silentii recipete », recevez la Gorgée de silence. Joignant le geste à la parole, il plaça une coupe en cuivre sous la gueule du lion puis la tendit à Christian, qui après avoir bu la mit à son tour entre les mains d’Eugénie. La coupe avait un goût de fer et Eugénie eut l’impression d’avoir la bouche remplie de sang. Elle pénétra la première dans l’eau, qui lui arrivait à la taille. Les yeux rivés sur la belle Vénus elle s’adossa au bord du bassin. À pleines mains, Christian saisit ses hanches étroites et la fit basculer sans peine, l’onde portant à demi son corps malingre. L’eau commença à se troubler.

Le corps couvert de sueur de la Vénus commençait à s’animer sous le regard avide d’Eugénie qui détaillait le moindre recoin de peau de cette beauté marmoréenne. Elle se demandait quelle coloration son derme pourrait prendre sous la main trop impétueuse d’un amant. Virerait-il au bleu sous les coups ou conserverait-il sa blancheur idéale ? Le sang pouvait-il seulement affleurer la surface de ce pur vélin ? La respiration de la Vénus s’accélérait et semblait maintenant accompagner le mouvement des ombres lançant contre la nuit des caresses à la pointe de ses seins. Elle ne pouvait le voir de là, mais Eugénie imaginait le creux au bas de la gorge de Vénus se remplir d’une sueur chaude au goût de miel. Soudain, sur un signe du curé, Christian se retira et alla achever sa besogne dans les délicatesses de Vénus.

Alors Vénus se réveilla, s’assit au bord de l’autel. Le curé prit un scalpel et pratiqua de légères saignées là où le cuivre avait marqué sa peau. Sans mot dire, elle prit la main d’Eugénie et l’invita à y coller sa bouche lui murmurant la formule rituelle : Ecce materia prima, cuprum Cupris ab spiritu tartari, te absolvo debilitati humanae.


Les années étaient passées, la Vénus s’était peu à peu émaciée, ce qui, selon le prêtre prouvait bien que la transmutation opérait, quoique l’on n’en pût voir qu’à peine les effets sur Eugénie. On répéta ainsi le rituel, sûr qu’à terme il serait possible d’en tirer le Panacée. Autant la Vénus de plus en plus évanescente semblait s’effondrer en elle-même, sans bruit, comme les glaciers se rompent dans l’océan sans qu’aucune oreille humaine ne puisse entendre leur plainte ; autant Eugénie, si elle avait pris quelque poids, ne voyait son corps modifié que par les effets d’une puberté tardive. Pourtant, une pointe d’arrogance s’était allumée dans son regard et paraissait accroitre sa substance. Eugénie était devenue assidue à la bibliothèque où elle étudiait avec la plus grande des rigueurs les mystères sacrés, la démonologie et l’alchimie, persuadée que sa quête acharnée la mènerait à la Transmutation Véritable, qui finirait par accorder enfin son corps à son esprit. Un soir, son oncle entra dans sa cellule, lui demandant de se préparer pour rejoindre l’abbaye d’Alix Le Clerc où se tramaient des choses étranges.

Dehors, il faisait froid. Sur le chemin de l’abbaye, la novice remarqua le long de la route un paysan menant à l’étable des bœufs décornés. Le vent s’insinuait dans la voiture. Eugénie fut parcourue d’un frisson de plaisir.


Dernière édition par Thog le Lun 8 Déc - 21:19, édité 1 fois
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Message par Xiltyn Malen Lun 8 Déc - 20:53

OMFFFFFFFFG
C'est tellement génial... Je vais aller me prendre une bonne douche froide et je te laisse avec Uzo, qui en parlera mieux que moi...
https://www.dropbox.com/s/f0wyopf76yvrgqf/Oh%20Piper.mp4?dl=0
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Message par Carmen de Osa Menor Mar 9 Déc - 10:42

C'est juste excellent. Beau, intéressant, plein de détails qui font que la scène est limpide. Je suis subjuguée!
J'approuve le lien d'Anelyse!
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Message par Hisopo Mar 9 Déc - 10:45

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Message par Thog Mar 9 Déc - 17:31

Merci les p'tits chats elephant
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Message par Xiltyn Malen Mar 9 Déc - 20:17

Je crois que le plus pervers et le plus délicieux dans tout ça, c'est la tête de ce pauvre Thog à côté du texte. Ce que tu lui fais pas dire huhu...
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Message par Thog Mer 10 Déc - 14:46

Faut pas croire, Thog-Thog il est chaud comme une baraque à frites ! elephant
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Message par Carmen de Osa Menor Mer 10 Déc - 15:16

et gay comme un pinson!
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Message par Thog Mer 10 Déc - 15:39

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