La fin des mensonges.
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La fin des mensonges.
Xiltyn tenait la couronne entre ses mains, en la fixant d’un regard triste et profond. Son bureau était pratiquement plongé dans la nuit, seule une bougie posée près de sa main éclairait son visage soucieux. Les ombres qui dansaient fébrilement sur son visage semblaient trahir l’agitation de ses pensées. Elle tressaillit au son de la voix de Sovessil, qui se tenait dans l’embrasure de la porte :
« -Tu la regardes comme si tu ne pouvais pas l’avoir, alors que toute la ville te l’a donnée, dit-il.
-C’est étrange n’est-ce pas ? À chaque don que je reçois, je me sens plus que jamais dépossédée. Je n’aurais jamais cru que cela coûtait autant, d’accepter ce qu’on m’offre.
-En l’occurrence tu l’as bien méritée.
Xiltyn eut un petit rire silencieux, qui ressemblait presque à du mépris. C’était d’autant plus étrange qu’elle semblait se moquer d’elle-même. Elle ajouta d’une voix un peu sifflante :
-C’est ce que j’ai toujours voulu, hein ? Et maintenant je suis toujours la même gamine, avec une couronne sur la tête. Je pensais que je ferais mon chemin, que je m’imposerais avec autorité, qu’on me craindrait plutôt que de se présenter en face de moi pour le trône, ou que je supplanterais mes rivaux par la force de mon intelligence, et en définitive, j’atterris ici parce que tout le monde est mort. Je règne sur un cimetière et je rassure les rats qui n’ont pas hésité à bouffer leurs maîtres. Écartez-vous, la reine de paille va passer. En espérant que le vent ne souffle pas trop fort, de crainte qu’elle ne tombe de sa colline à la première bourrasque. »
Elle s’étranglait presque avec ses mots et c’était assez terrible de la voir redevenir ce qu’elle était avant, même pour un instant. Elle parlait sans regarder Sovessil, la tête baissée, comme si ses yeux essayaient de se raccrocher à la couronne de peur de sombrer. Il réalisa que la colère de la jeune femme était toujours là, mais qu’elle l’avait tournée contre elle-même. Il aurait voulu s’approcher mais il la connaissait trop pour ignorer qu’elle l’aurait repoussé définitivement s’il avait commencé à montrer de la pitié.
« -Tu devrais essayer de t’aimer un peu, pour changer.
-Il n’y a que les saints dans ton genre pour réussir cet exploit.
Presque immédiatement, Xiltyn se mordit la lèvre et plissa les yeux.
-Je suis désolée. Je n’avais pas le droit de dire une chose pareille.
Xiltyn porta sa main à son visage et se frotta les yeux. Elle était visiblement épuisée et à bout de nerfs. Elle semblait crouler sous le poids de sa propre tension.
-Ça va. Tu as déjà frappé plus fort que ça.
L’autre main de Xiltyn se resserra sur la couronne.
-Je ne l’ai pas volée, celle-là.
-Écoute, l’important n’est pas de savoir si les autres pensent que tu es à la hauteur, mais de leur prouver que c’est bien le cas. Il vaut mieux être sous estimé que de décevoir. Et puis, d’après ce que j’ai vu… »
Xiltyn interrompit Sovessil, comme pour écarter ce sujet qui ne l’intéressait finalement que très peu tandis qu’un autre lui brûlait les lèvres. Les mots étaient sortis d’un coup, dans un grand souffle, comme si elle avait retenu sa respiration trop longtemps :
« -Je t’ai vu.
-Comment ?
-Je t’ai vu, après notre combat sur les tours. J’ai rêvé de toi, et j’ai tout ressenti. J’ai perçu ta souffrance, alors que tes os étaient en mille morceaux. J’ai senti le goût du sang dans ta bouche, j’ai entendu tes cris. Je pouvais presque toucher ta peine, alors que le deuil s’ajoutait à ton propre calvaire. C’est moi qui t’ai fait tout ça, qui t’ai infligé mille morts. C’était tellement atroce qu’il ne se passe pas une nuit sans que je le revive. Pour l’avoir subi seulement en rêve, je ne me rappelle pas avoir souffert autant moi-même. Comment est-ce qu’après tout cela tu as pu ne serait-ce que me pardonner ? Comment est-ce que tu peux me lancer de tels regards, et me toucher ainsi ? Alors que moi-même je n’ose même pas te regarder en face. Quel homme ayant déjà souffert des effets d’un poison décide de boire le verre jusqu’à la lie ?
– D’après ce que j’entends ton problème est moins de savoir comment j’ai pu être en paix avec cette histoire que de trouver un moyen de te pardonner à toi-même. »
En disant ces mots, Sovessil s’était rapproché doucement d’elle. Il passa derrière elle et posa la main sur son dos. Il caressait du pouce la zone couverte par le bandage.
« -Tu t’es assez punie comme cela, tu ne crois pas ?
-Donc tu m’as vue aussi.
-Nous avons tous les deux partagé nos peines.
-Qu’est-ce que tu as vu d’autre ?
-J’ai entendu tes angoisses, je sais avec quoi tu te bats. J’ai pu voir dans quel état tu es lorsque tu vois ton père, et j’ai assisté au combat contre ta sœur.
-Et ça non plus, ça ne te fait pas réfléchir à deux fois avant de m’approcher ?
-J’ai compris pourquoi tu l’avais aidé lui, tes sentiments pour elle par contre m’ont semblé très confus. Je sais que tu l’as fait parce qu’elle répétait les mêmes comportements que lui, et que tu pensais protéger les jeunes générations d’un autre tyran. Mais j’ai quand même senti pas mal d’amour dans cette haine malgré tout.
La lèvre inférieure de Xiltyn trembla une seconde, et elle se ressaisit aussitôt :
-Elle n’avait pas le droit de m’abandonner. Elle m’a laissée toute seule.
-Je sais ce que tu cherches à accomplir, tu cherches un moyen de fuir ce monde parce que ces derniers temps plus que jamais, tu es persuadée que tout ce que tu aimes finira par te trahir ou te laisser dans ta solitude. J’ai vu ce qui s’est passé quand Bazim vous a fait sa dernière offre. Nous avons perdu le lien peu après, mais j’ai ressenti ta douleur terrible et je me doute que depuis, tu ne fais plus confiance à grand monde.
-J’ai passé des mois dans une telle douleur. J’ai tué ma sœur. J’ai perdu mes pouvoirs que je croyais avoir amenés à leur perfection comme personne n’en aurait été capable. Et je les reçois en pleine poitrine, dans toute leur force, des mains maladroites de Vaolecyl. Bazim m’a ri au nez et tout ce que je croyais avoir accompli, réussi, s’en est trouvé réduit à néant. Peu après, on retrouve Bazim, il propose de nous rendre nos pouvoirs. Je sais bien que c’est un être mauvais et traître, que c’est encore moins glorieux d’avoir envisagé de le servir à nouveau. Mais tout de même, à part Bral qui semblait de mon avis, aucun d’eux n’a cillé au moment de refuser. Pas un ne nous a regardés, pas un ne s’est ne serait-ce que demandé ce que nous allions devenir. Nous avions tout perdu tous les deux, et Thog était privé de son bras. J’ai failli abandonner cent fois.
-Je sais
-Et ni Tulia, ni Tara n’ont cédé sur leurs principes. Les gens ne sont-ils pas plus importants que des principes ? J’aurais détruit le monde mille fois pour les sauver.
-Je sais.
-Alors oui, je n’y crois plus, je ne me vois pas finir mes jours autrement que lorsque je les ai commencés. Comme une gamine apeurée qui n’a que ses murs à qui parler.
-Tu me parles bien, à moi.
-C’est facile avec toi, tu sais déjà tout. Je n’ai rien à t’avouer. »
À ces mots sa lèvre recommença à trembler. Elle avait bien un aveu au bord des lèvres mais elle n’arrivait pas à l’expirer, comme si elle craignait de manquer d’air.
« -Quelle vie misérable tout de même. Partout où nous sommes passés, nous avons semé le chaos. Tout ce que nous touchons en demeure désolé. Nous nous détruisons même les uns les autres. Tulia semble persuadée qu’elle doit se sacrifier pour trouver sa place parmi nous. Pas un seul d’entre nous ne mérite qu'elle fasse une telle chose, sauf peut-être Thog. Mais regarde-le. Il disparaît sous nos yeux, on le laisse affronter les problèmes que nous provoquons et son corps en ressort chaque jour un peu plus détruit. Tout ce que j’ai essayé de faire pour l’aider n’a jamais abouti. J’ai l’impression de le regarder mourir. J’ai pratiquement vendu mon âme pour des pouvoirs qui n’ont jamais sauvé personne. Quelque soit le cœur que j’y mets, j’échoue. Thog a été vaincu sous mes yeux à la tour, mais par contre pour te faire du mal il est clair que je n’ai pas loupé mon coup. J’avais déjà failli contre Visara, qu’il a pratiquement combattu tout seul. Bral est mort également des mains du Golem la dernière fois, tandis que je baignais dans mon sang contre un mur à regarder le destin me narguer encore une fois. Le Marchevent est mort ou tout comme, la ville est en cendres. Alors certes, nous nous en sommes toujours sortis parce que le destin nous est favorable, mais avoue que cela fait une sacrément belle couronne pour un monceau d’échecs. Et tu veux venir mourir sur mes lèvres malgré tout. Sauve-toi.
Sovessil fit le tour du bureau pour faire cette fois face à Xiltyn, qui refusait toujours de soutenir son regard. La bougie éclairait nettement son visage, tandis que la jeune femme s’était reculée dans sa chaise, si bien que ses traits disparaissaient dans la pénombre.
« -Je ne vais nulle part. Tu m’as demandé de venir et maintenant tu me chasses. Comme tu fais toujours. Mais tu m’as bien sauvé, moi. Tu m’as montré que je ne faisais que fuir, et je suis redevenu l’homme que j’étais, en meilleur même. Et maintenant que tu portes cette blessure parce que tu t’es sentie abandonnée, tu t’engages sur la voie que j’avais suivie moi-même, plutôt que de faire face. Cesse de vouloir et empare-toi de ce que tu désires. Comme tu l’as fait avec cette couronne.
-C’est drôle tout de même, j’ai cru aspirer à quelque chose tellement longtemps, et maintenant que je l’ai, je n’en réalise que mieux ce qui me manque vraiment. »
En disant cela, Xiltyn jeta un regard à la couronne, et leva les yeux vers le paladin. Sovessil ne pouvait pas le voir mais ils avaient commencé à rougir. Elle reprit :
« -Tu vas à ta perte avec moi, j’en suis persuadée. Et encore, il me suffirait de t’y suivre après tout. Mais j’ai bien d’autres entraves dont je dois me libérer avant de savoir ce que je veux, ou plutôt, ce que j’ose vouloir.
-C’est encore à ton père que tu penses. Tu sais que tu es autant responsable que lui de l’emprise qu’il a sur ta vie.
-Je sais. Quand j'ai le courage de me regarder en face, j'en arrive à la conclusion que finalement, je ne suis jamais vraiment sortie de cette chambre. Je ne fais que promener ma prison avec moi. Il faut que je m’évade vraiment, cette fois. »
La jeune femme était rentrée dans une intense concentration pour lancer un sort. Elle avait toujours autant de mal à lâcher prise, mais peut-être y arriverait-elle par ce moyen d’expression. Elle demanda à Sovessil :
« -Tu te rappelles, la première fois que nous nous sommes rencontrés. Alors que tu voulais me soigner, lorsque tu m’as touchée, tu as eu un mouvement de recul et un regard presque menaçant. Tu veux bien me dire pourquoi ?
-Oui, je me rappelle. Ce jour-là j’ai déjà été ébranlé dans ce que je croyais savoir. J’ai vu en toi ce que j’aurais pu devenir. Et je crois que ce que je n’ai pas aimé, c’est cette intuition que j’ai mis si longtemps à formuler, à savoir que nous étions tous les deux le résultat de deux choix aussi extrêmes qu’opposés. J’ai vu ton erreur sans oser me dire que c’était aussi la mienne. Et c’est bien toi la première à avoir tourné tes yeux vers moi et à avoir compris que nous ne serions sauvé qu’en trouvant l’équilibre, alors que nous avions jusque là cherché à lire le monde en noir et blanc.
-Ah, donc ce n’est pas que tu m’avais trouvée laide alors.
Sovessil eut un petit rire étouffé.
-Non, comment aurais-je pu ? Enfin, tu montrais un peu les dents, à l’époque. »
Les deux elfes se laissèrent gagner par une étrange chaleur mêlée d’une grande tristesse, en songeant à ces souvenirs si lointains, dans lesquels ils se trouvaient si jeunes, et si différents. Tant d’années s’étaient écoulées, et tant d’innocents avaient succombé à ces combats sans fin. Tous deux sentaient que la fin de cette époque était proche et s’en affligeaient autant qu’ils s’en réjouissaient. La main de Xiltyn revint sur la table, éclairée par la bougie. Elle couvrit celle de Sovessil, et ils restèrent silencieux quelques instants encore. Ils avaient tous les deux des fourmillements dans les poignets, découvrant l’effet de ces douloureuses caresses qui heurtent les adolescents si terriblement qu’ils passent le reste de leur vie à les chercher avidement. C’était assez curieux à voir, chez des êtres déjà centenaires.
« -J’espère qu’il n’est pas trop tard pour moi, et que tu veux bien attendre ce cœur cabossé, dit-elle. »
Lorsqu’elle prononça ces paroles, Sovessil distingua quelques sanglots étouffés. Sur le mur derrière elle, la nuit devenue encre sous l’effet du sort qu’elle avait lancé commençait à briller dans l’obscurité. Sovessil put y lire ces mots, qui disparurent quelques secondes après : « J’espère au moins te prouver par ce refus à quel point je brûle d’amour pour toi, i calan nín. »
Le visage de Sovessil se fendit d’un large sourire alors qu’il sentait son cœur exploser. Son corps lui paraissait trop étroit pour son âme et n’avait plus les dimensions de ses sentiments. La douleur était si forte qu’elle en était aussi suave que sensuelle :
« -Très bien, mais alors dépêche-toi, i daw nín. »
Sans plus vouloir quitter cette douce souffrance, tous deux entrèrent cette nuit-là dans une profonde méditation, en rêvant à ce que leur vie aurait pu être.
« -Tu la regardes comme si tu ne pouvais pas l’avoir, alors que toute la ville te l’a donnée, dit-il.
-C’est étrange n’est-ce pas ? À chaque don que je reçois, je me sens plus que jamais dépossédée. Je n’aurais jamais cru que cela coûtait autant, d’accepter ce qu’on m’offre.
-En l’occurrence tu l’as bien méritée.
Xiltyn eut un petit rire silencieux, qui ressemblait presque à du mépris. C’était d’autant plus étrange qu’elle semblait se moquer d’elle-même. Elle ajouta d’une voix un peu sifflante :
-C’est ce que j’ai toujours voulu, hein ? Et maintenant je suis toujours la même gamine, avec une couronne sur la tête. Je pensais que je ferais mon chemin, que je m’imposerais avec autorité, qu’on me craindrait plutôt que de se présenter en face de moi pour le trône, ou que je supplanterais mes rivaux par la force de mon intelligence, et en définitive, j’atterris ici parce que tout le monde est mort. Je règne sur un cimetière et je rassure les rats qui n’ont pas hésité à bouffer leurs maîtres. Écartez-vous, la reine de paille va passer. En espérant que le vent ne souffle pas trop fort, de crainte qu’elle ne tombe de sa colline à la première bourrasque. »
Elle s’étranglait presque avec ses mots et c’était assez terrible de la voir redevenir ce qu’elle était avant, même pour un instant. Elle parlait sans regarder Sovessil, la tête baissée, comme si ses yeux essayaient de se raccrocher à la couronne de peur de sombrer. Il réalisa que la colère de la jeune femme était toujours là, mais qu’elle l’avait tournée contre elle-même. Il aurait voulu s’approcher mais il la connaissait trop pour ignorer qu’elle l’aurait repoussé définitivement s’il avait commencé à montrer de la pitié.
« -Tu devrais essayer de t’aimer un peu, pour changer.
-Il n’y a que les saints dans ton genre pour réussir cet exploit.
Presque immédiatement, Xiltyn se mordit la lèvre et plissa les yeux.
-Je suis désolée. Je n’avais pas le droit de dire une chose pareille.
Xiltyn porta sa main à son visage et se frotta les yeux. Elle était visiblement épuisée et à bout de nerfs. Elle semblait crouler sous le poids de sa propre tension.
-Ça va. Tu as déjà frappé plus fort que ça.
L’autre main de Xiltyn se resserra sur la couronne.
-Je ne l’ai pas volée, celle-là.
-Écoute, l’important n’est pas de savoir si les autres pensent que tu es à la hauteur, mais de leur prouver que c’est bien le cas. Il vaut mieux être sous estimé que de décevoir. Et puis, d’après ce que j’ai vu… »
Xiltyn interrompit Sovessil, comme pour écarter ce sujet qui ne l’intéressait finalement que très peu tandis qu’un autre lui brûlait les lèvres. Les mots étaient sortis d’un coup, dans un grand souffle, comme si elle avait retenu sa respiration trop longtemps :
« -Je t’ai vu.
-Comment ?
-Je t’ai vu, après notre combat sur les tours. J’ai rêvé de toi, et j’ai tout ressenti. J’ai perçu ta souffrance, alors que tes os étaient en mille morceaux. J’ai senti le goût du sang dans ta bouche, j’ai entendu tes cris. Je pouvais presque toucher ta peine, alors que le deuil s’ajoutait à ton propre calvaire. C’est moi qui t’ai fait tout ça, qui t’ai infligé mille morts. C’était tellement atroce qu’il ne se passe pas une nuit sans que je le revive. Pour l’avoir subi seulement en rêve, je ne me rappelle pas avoir souffert autant moi-même. Comment est-ce qu’après tout cela tu as pu ne serait-ce que me pardonner ? Comment est-ce que tu peux me lancer de tels regards, et me toucher ainsi ? Alors que moi-même je n’ose même pas te regarder en face. Quel homme ayant déjà souffert des effets d’un poison décide de boire le verre jusqu’à la lie ?
– D’après ce que j’entends ton problème est moins de savoir comment j’ai pu être en paix avec cette histoire que de trouver un moyen de te pardonner à toi-même. »
En disant ces mots, Sovessil s’était rapproché doucement d’elle. Il passa derrière elle et posa la main sur son dos. Il caressait du pouce la zone couverte par le bandage.
« -Tu t’es assez punie comme cela, tu ne crois pas ?
-Donc tu m’as vue aussi.
-Nous avons tous les deux partagé nos peines.
-Qu’est-ce que tu as vu d’autre ?
-J’ai entendu tes angoisses, je sais avec quoi tu te bats. J’ai pu voir dans quel état tu es lorsque tu vois ton père, et j’ai assisté au combat contre ta sœur.
-Et ça non plus, ça ne te fait pas réfléchir à deux fois avant de m’approcher ?
-J’ai compris pourquoi tu l’avais aidé lui, tes sentiments pour elle par contre m’ont semblé très confus. Je sais que tu l’as fait parce qu’elle répétait les mêmes comportements que lui, et que tu pensais protéger les jeunes générations d’un autre tyran. Mais j’ai quand même senti pas mal d’amour dans cette haine malgré tout.
La lèvre inférieure de Xiltyn trembla une seconde, et elle se ressaisit aussitôt :
-Elle n’avait pas le droit de m’abandonner. Elle m’a laissée toute seule.
-Je sais ce que tu cherches à accomplir, tu cherches un moyen de fuir ce monde parce que ces derniers temps plus que jamais, tu es persuadée que tout ce que tu aimes finira par te trahir ou te laisser dans ta solitude. J’ai vu ce qui s’est passé quand Bazim vous a fait sa dernière offre. Nous avons perdu le lien peu après, mais j’ai ressenti ta douleur terrible et je me doute que depuis, tu ne fais plus confiance à grand monde.
-J’ai passé des mois dans une telle douleur. J’ai tué ma sœur. J’ai perdu mes pouvoirs que je croyais avoir amenés à leur perfection comme personne n’en aurait été capable. Et je les reçois en pleine poitrine, dans toute leur force, des mains maladroites de Vaolecyl. Bazim m’a ri au nez et tout ce que je croyais avoir accompli, réussi, s’en est trouvé réduit à néant. Peu après, on retrouve Bazim, il propose de nous rendre nos pouvoirs. Je sais bien que c’est un être mauvais et traître, que c’est encore moins glorieux d’avoir envisagé de le servir à nouveau. Mais tout de même, à part Bral qui semblait de mon avis, aucun d’eux n’a cillé au moment de refuser. Pas un ne nous a regardés, pas un ne s’est ne serait-ce que demandé ce que nous allions devenir. Nous avions tout perdu tous les deux, et Thog était privé de son bras. J’ai failli abandonner cent fois.
-Je sais
-Et ni Tulia, ni Tara n’ont cédé sur leurs principes. Les gens ne sont-ils pas plus importants que des principes ? J’aurais détruit le monde mille fois pour les sauver.
-Je sais.
-Alors oui, je n’y crois plus, je ne me vois pas finir mes jours autrement que lorsque je les ai commencés. Comme une gamine apeurée qui n’a que ses murs à qui parler.
-Tu me parles bien, à moi.
-C’est facile avec toi, tu sais déjà tout. Je n’ai rien à t’avouer. »
À ces mots sa lèvre recommença à trembler. Elle avait bien un aveu au bord des lèvres mais elle n’arrivait pas à l’expirer, comme si elle craignait de manquer d’air.
« -Quelle vie misérable tout de même. Partout où nous sommes passés, nous avons semé le chaos. Tout ce que nous touchons en demeure désolé. Nous nous détruisons même les uns les autres. Tulia semble persuadée qu’elle doit se sacrifier pour trouver sa place parmi nous. Pas un seul d’entre nous ne mérite qu'elle fasse une telle chose, sauf peut-être Thog. Mais regarde-le. Il disparaît sous nos yeux, on le laisse affronter les problèmes que nous provoquons et son corps en ressort chaque jour un peu plus détruit. Tout ce que j’ai essayé de faire pour l’aider n’a jamais abouti. J’ai l’impression de le regarder mourir. J’ai pratiquement vendu mon âme pour des pouvoirs qui n’ont jamais sauvé personne. Quelque soit le cœur que j’y mets, j’échoue. Thog a été vaincu sous mes yeux à la tour, mais par contre pour te faire du mal il est clair que je n’ai pas loupé mon coup. J’avais déjà failli contre Visara, qu’il a pratiquement combattu tout seul. Bral est mort également des mains du Golem la dernière fois, tandis que je baignais dans mon sang contre un mur à regarder le destin me narguer encore une fois. Le Marchevent est mort ou tout comme, la ville est en cendres. Alors certes, nous nous en sommes toujours sortis parce que le destin nous est favorable, mais avoue que cela fait une sacrément belle couronne pour un monceau d’échecs. Et tu veux venir mourir sur mes lèvres malgré tout. Sauve-toi.
Sovessil fit le tour du bureau pour faire cette fois face à Xiltyn, qui refusait toujours de soutenir son regard. La bougie éclairait nettement son visage, tandis que la jeune femme s’était reculée dans sa chaise, si bien que ses traits disparaissaient dans la pénombre.
« -Je ne vais nulle part. Tu m’as demandé de venir et maintenant tu me chasses. Comme tu fais toujours. Mais tu m’as bien sauvé, moi. Tu m’as montré que je ne faisais que fuir, et je suis redevenu l’homme que j’étais, en meilleur même. Et maintenant que tu portes cette blessure parce que tu t’es sentie abandonnée, tu t’engages sur la voie que j’avais suivie moi-même, plutôt que de faire face. Cesse de vouloir et empare-toi de ce que tu désires. Comme tu l’as fait avec cette couronne.
-C’est drôle tout de même, j’ai cru aspirer à quelque chose tellement longtemps, et maintenant que je l’ai, je n’en réalise que mieux ce qui me manque vraiment. »
En disant cela, Xiltyn jeta un regard à la couronne, et leva les yeux vers le paladin. Sovessil ne pouvait pas le voir mais ils avaient commencé à rougir. Elle reprit :
« -Tu vas à ta perte avec moi, j’en suis persuadée. Et encore, il me suffirait de t’y suivre après tout. Mais j’ai bien d’autres entraves dont je dois me libérer avant de savoir ce que je veux, ou plutôt, ce que j’ose vouloir.
-C’est encore à ton père que tu penses. Tu sais que tu es autant responsable que lui de l’emprise qu’il a sur ta vie.
-Je sais. Quand j'ai le courage de me regarder en face, j'en arrive à la conclusion que finalement, je ne suis jamais vraiment sortie de cette chambre. Je ne fais que promener ma prison avec moi. Il faut que je m’évade vraiment, cette fois. »
La jeune femme était rentrée dans une intense concentration pour lancer un sort. Elle avait toujours autant de mal à lâcher prise, mais peut-être y arriverait-elle par ce moyen d’expression. Elle demanda à Sovessil :
« -Tu te rappelles, la première fois que nous nous sommes rencontrés. Alors que tu voulais me soigner, lorsque tu m’as touchée, tu as eu un mouvement de recul et un regard presque menaçant. Tu veux bien me dire pourquoi ?
-Oui, je me rappelle. Ce jour-là j’ai déjà été ébranlé dans ce que je croyais savoir. J’ai vu en toi ce que j’aurais pu devenir. Et je crois que ce que je n’ai pas aimé, c’est cette intuition que j’ai mis si longtemps à formuler, à savoir que nous étions tous les deux le résultat de deux choix aussi extrêmes qu’opposés. J’ai vu ton erreur sans oser me dire que c’était aussi la mienne. Et c’est bien toi la première à avoir tourné tes yeux vers moi et à avoir compris que nous ne serions sauvé qu’en trouvant l’équilibre, alors que nous avions jusque là cherché à lire le monde en noir et blanc.
-Ah, donc ce n’est pas que tu m’avais trouvée laide alors.
Sovessil eut un petit rire étouffé.
-Non, comment aurais-je pu ? Enfin, tu montrais un peu les dents, à l’époque. »
Les deux elfes se laissèrent gagner par une étrange chaleur mêlée d’une grande tristesse, en songeant à ces souvenirs si lointains, dans lesquels ils se trouvaient si jeunes, et si différents. Tant d’années s’étaient écoulées, et tant d’innocents avaient succombé à ces combats sans fin. Tous deux sentaient que la fin de cette époque était proche et s’en affligeaient autant qu’ils s’en réjouissaient. La main de Xiltyn revint sur la table, éclairée par la bougie. Elle couvrit celle de Sovessil, et ils restèrent silencieux quelques instants encore. Ils avaient tous les deux des fourmillements dans les poignets, découvrant l’effet de ces douloureuses caresses qui heurtent les adolescents si terriblement qu’ils passent le reste de leur vie à les chercher avidement. C’était assez curieux à voir, chez des êtres déjà centenaires.
« -J’espère qu’il n’est pas trop tard pour moi, et que tu veux bien attendre ce cœur cabossé, dit-elle. »
Lorsqu’elle prononça ces paroles, Sovessil distingua quelques sanglots étouffés. Sur le mur derrière elle, la nuit devenue encre sous l’effet du sort qu’elle avait lancé commençait à briller dans l’obscurité. Sovessil put y lire ces mots, qui disparurent quelques secondes après : « J’espère au moins te prouver par ce refus à quel point je brûle d’amour pour toi, i calan nín. »
Le visage de Sovessil se fendit d’un large sourire alors qu’il sentait son cœur exploser. Son corps lui paraissait trop étroit pour son âme et n’avait plus les dimensions de ses sentiments. La douleur était si forte qu’elle en était aussi suave que sensuelle :
« -Très bien, mais alors dépêche-toi, i daw nín. »
Sans plus vouloir quitter cette douce souffrance, tous deux entrèrent cette nuit-là dans une profonde méditation, en rêvant à ce que leur vie aurait pu être.
Dernière édition par Xiltyn Malen le Mar 5 Aoû - 17:53, édité 1 fois
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